Résistance et Déportation dans la vallée du Rabodeau
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Le maquis que l’Histoire avait oublié

Structuration progressive. Faux papiers. Réseaux et Passeurs
Article mis en ligne le 1er février 2007
dernière modification le 26 octobre 2024

par Gerard

1941, 42, 43. Tout au long de ces 3 années, la résistance déjà en place depuis 40 va s’organiser d’une manière de plus en plus "industrialisée" :

Structuration et renforcement des filières de passeurs [1]
 Des réseaux de renseignement vers la France Libre et les Alliés
 Des actions « bâtons dans les roues » à l’encontre de l’occupant
 Puis du recrutement de forces vives pour les maquis naissants

Des petits groupes de clandestins se structurent peu à peu, composés des habitants, d’évadés, d’expulsés, des plus en plus nombreux recherchés... de tous ceux qui n’ont toujours pas baissé les bras. Ils seront considérablement grossis, à partir de début 43, des réfractaires au STO français ou au RAD alsacien-mosellan [2]

Quelques hommes feront le grand saut vers l’Afrique du Nord pour combattre dans les Forces Françaises Libres. Parmi ces quelques uns : Michel Klein de Moussey, qui sera notre instituteur, combattant de la campagne d’Italie dans le CEF du général Juin... Antoine Heiligenstein, "évadé" de Bourg Bruche vers ici (Belval), engagé à Epinal en juin 40 à 17 ans dans la marine pour rejoindre le Maroc, gagnera l’Angleterre en 43 et combattra dans le 4ème SAS [3]. D’autres partiront combattre dans les maquis de l’Ain : Eugène Odille de Moussey, dit "le Kiki", André Launay de Le Saulcy [4], Paul Dumoulin de Moussey [5]... Grégoire Berg, ingénieur juif "évadé" d’Alsace à Moussey depuis 1939 avec sa famille, sera fusillé à Paris comme résistant le 24 août 1944 [6] ...

Se structurent dans le même temps les rattachements aux grands réseaux du Renseignement et des filières d’évasion (Ajax, Mithridate [7], CDLR [8], Libération Nord... Résistance Fer), et donc la liaison avec les autres groupes de Résistance, la Zone Libre, la France Libre (BCRA...), les Anglais (SOE...) [9]


La région de Moussey est incontestablement le bastion de la Résistance de la haute vallée du Rabodeau et la principale articulation entre la vallée de la Bruche et la France "de l’intérieur". Elle le doit à sa géographie et à sa situation "sur la frontière", aux liens entre les familles "coupées en 2" suite au traité de Francfort de 1871, à 70 ans d’histoire de guerre et au caractère consécutif de ses habitants. Elle doit sa force et sa stabilité jusqu’au bout à la force morale et à l’indéfectible complicité, au delà de leurs "appartenances", d’hommes exceptionnels dont les 4 principaux "chefs du village" de Moussey : son maire Jules Py, son directeur d’école Lucien Simonnot, son curé Achille Gassmann [10], son brigadier de Gendarmerie Marcel Demaline


On ne peut évoquer la Résistance d’ici sans mettre à la place qui lui est due l’Administration des Eaux et Forêts (aujourd’hui ONF) : forteresse de la Résistance d’ici si l’on résume. A la tête de l’organisation depuis le printemps 41 (leur retour de captivité), les "patrons" de l’arrondissement de Saint Dié : Louis François, conservateur, son adjoint Jean-François Pelet. S’il fallait un exemple pour illustrer ce que fut l’esprit de la Résistance d’ici, en voilà un [11]

Incontournables professionnels et fournisseurs des ressources de la forêt, les gardes et ingénieurs, leurs équipes de bûcherons et les exploitants, constituent de fait un réseau au travers duquel rien ne passe sans être vu ou contrôlé dans cette région faite de plus de 90 % de forêt, exploitée sans arrêt... Les hommes de cette administration d’Etat sont tous ici sévèrement triés sur le volet et "éduqués", ils formeront jusqu’au bout le plus important, le plus uni et le plus fiable noyau de l’organisation de la Résistance d’ici... Dernier perfectionnement du système : des "chantiers forestiers" (comparables aux "chantiers de jeunesse") seront créés pour protéger mieux encore ce dernier "espace libre" qu’est l’immense forêt sauvage de la montagne d’ici, former des maquisards, couvrir le plus possible de "rebelles", procurer des papiers et donner un travail officiel aux réfractaires au STO... [12]

Rien ne fut découvert jusqu’aux dernières semaines de l’occupation.

C’est alors que les Einsatz Kommandos du Sipo/SD, bien renseignés, lancèrent une implacable chasse à l’homme : les hommes non encore déportés "comme tout le monde" furent systématiquement arrêtés, interrogés, le dernier noyau dur amené à partir de mi octobre à l’Ecole du Vivier (Etival, siège à l’époque du Einsatz Kommando Wenger). Le 22 octobre 14 hommes seront exécutés dans la tuerie de Ravines, les 2 grands patrons en tête, la plupart des autres seront déportés. Au total 305 forestiers y laisseront leur vie (18 "retrouvés" s’ajoutent aux 287 inscrits en 1948 sur le "Parchemin du Haut Jacques"). En ce qui concerne la haute vallée du Rabodeau, seulement quelques très rares ont pu échapper au pire : plus de 80 % sont morts (70 recensés)...


C’est dans ce terreau [13] que se construira au moment nécessaire ici une organisation de type militaire selon les directives de Londres et les demandes des forces Alliées : les 2 maquis GMA Vosges et 1er RCV FFI, chacun selon sa culture et ses véritables buts [14] :

 Le GMA Vosges, sous le commandement de Marcel Kibler, le « commandant Marceau » : ingénieur textile alsacien "évadé" dès l’armistice, adjoint de Paul Dungler (fondateur de la "7ème colonne d’Alsace" et par suite du GMA, Groupe Mobile Alsace), puis un de ses successeurs après l’arrestation de celui ci
 Le 1er Régiment de Chasseurs Vosgiens FFI, sous le commandement du colonel Emile Marlier : officier des Chasseurs à Pied réputé, résistant de la première heure et membre actif du réseau de résistance de l’armée (qui principalement deviendra l’ORA), connaissant le terrain puisque vosgien de Lusse et habitant du Harcholet

Destinés à contrôler les passages vers le centre Alsace depuis le Donon jusqu’à la vallée de la Fave au moment de l’offensive alliée vers le Rhin, ils regrouperont l’essentiel des forces locales de résistance

 Composés d’habitants des villages
 Structurés de manière militaire
 Servis par des hommes et des femmes "ordinaires" d’ici réunissant les qualités à hauteur de l’enjeu : conviction et honnêteté intellectuelle, connaissance du terrain et pragmatisme, courage et discrétion

Ils compteront plus de 1 000 hommes disponibles à la fin de l’été 1944. Regrettons que l’utilisation qu’on en a faite ait abouti à un immense gâchis !...


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