D’ici, il n’y a pas de photos de pendant, de "reportages" non plus, excepté de rares entrefilets, imprécis ou incomplets, hors contexte pour la plupart. Et les archives officielles sont un désert [1]
– Il n’y a pas eu de combats spectaculaires puisqu’en toute logique seule la lutte de l’ombre était au programme (et l’engagement fut respecté là malgré son prix)
– Hommes d’exception et citoyens ordinaires, très peu "en sont revenus"
– Les rescapés n’ont pas eu le coeur à "raconter leur vie" et toutes les familles sans exception étaient dévastées. Ne comptait plus que d’essayer de reconstruire avec les débris, en silence parce que ce n’est pas dans la nature des gens d’ici de palabrer ni de geindre
Les historiens n’en ont donc pas écrit l’histoire
Il y a eu le silence de la lutte clandestine. Il y a toujours aujourd’hui le silence du recueillement, et il y a celui de la réflexion. Il y a toujours aussi celui des livres d’histoire [2]. Et pourtant :
– Il y a eu ici 4 ans 1/2 de résistance au quotidien d’hommes et de femmes ordinaires. Qui le sait ?
– Il y a eu l’une des plus importantes filières de passeurs [3] Qui le sait ?
– Il y a eu le choix de l’état-major allié de centrer ici l’Opération Loyton. Qui le sait ? Et donc à soutenir l’action des 102 parachutistes Britanniques du 2ème SAS, du F Phantom et du SOE/Jed Jacob, pendant 2 mois 1/2. Qui le sait ? (Plus tard, fin novembre, c’est aussi en passant par la vallée du Rabodeau que la 100ème DI US atteignit Bitche et l’Alsace pour atteindre au plus vite le Rhin)
– Il y a eu consécutivement l’opération Wald Fest, et 3 mois de chasse à l’homme menée par les "Einsatz Kommandos" du Sipo/SD appuyés des détachements spéciaux ou non de la Wehrmacht. Qui le sait ? Ils ont fusillé ou massacré 25 hommes d’ici. Qui le sait ? Ils ont déporté 943 citoyens des villages dont 661 ne sont pas rentrés (au moins 1 020 et 720, "clandestins" compris). Qui le sait ? Ils ont fusillé ou massacré 39 hommes du 2ème SAS, du F Phantom et du SOE. Qui le sait ? Ils ont dévasté toutes les familles de cette vallée des Vosges : 400 veuves et 750 orphelins. Qui le sait ? ...
Il est surprenant que cette lourde page de la Résistance soit restée ignorée
Sans doute trop compliquée à comprendre et plus encore à raconter, et donc difficilement "médiatisable"... Laissons parler un journaliste parisien débarquant à Moussey en mai 1945 (c’est 10 mois après la libération de Paris... et les problèmes d’ici ne sont sans doute pas le sujet de débat à la mode dans les cercles de la capitale) :
("... des maquisards du coin, il n’y en a plus, les Allemands les ont emmenés... des déportés, c’étaient les mêmes ou ceux de leurs familles, il semble qu’il y en ait eu vraiment beaucoup ici et même bien plus qu’ailleurs, un et même plusieurs dans chaque famille... des morts dans les camps, on en compte déjà quelques centaines, et on croit qu’il y en aura beaucoup plus mais on ne sait pas lesquels... il n’y a bien sûr pas les corps de ceux qu’on connaît déjà au cimetière du village, il n’y a que quelques plaques grossières, parfois des photos (On ne ramènera jamais les corps au village, et pour cause. Et ce n’est que plus tard qu’on construira un vrai monument aux morts, plus tard encore qu’on mettra des stèles aux endroits les plus marquants)... il y a toujours beaucoup d’habitants, mais ils ont l’air de bêtes qu’on a battues et les hommes sont vieux, ils ne disent rien... ceux qui sont rentrés ressemblent à des ombres, ils ne parlent pas... et puis tout le monde est tout le temps occupé à faire quelque chose, comme les fourmis... les femmes sont toutes habillées en noir et elles ont l’air fanées... les enfants sont habillés un peu n’importe comment et ne jouent pas beaucoup, ils sont apeurés et se sauvent quand on les approche... il y a aussi les cloches de l’église qui sonnent en mort tout le temps (la réalité : il y a tous les jours une messe pour un pas rentré ou plusieurs, et puis, pendant toute la durée du retour des camps, Achille Gasmann, le curé du village, a fait sonner le glas en lieu et place de l’Angelus !) ... et les chefs des maquis, qui eux au moins sauraient raconter, ne sont pas là, on dit que beaucoup d’ici ne sont pas non plus rentrés d’Allemagne et qu’on ne sait rien des autres, que les grands chefs, qu’on n’avait jamais vus ici, n’ont pas été pris et qu’on ne sait pas où ils sont repartis... le maire, qui aurait pu dire beaucoup de choses puisqu’il était un pilier de tout ça, n’est pas revenu non plus des camps... le directeur général des usines qui aurait du savoir beaucoup aussi puisqu’il fournissait la logistique, c’était aussi lui le maire... le curé du village, on dit qu’il savait forcément tout puisqu’il qu’il était aussi le pilier de tout ça, mais il ne veut pas parler et nous regarde même de haut... les parachutistes Anglais, on dit qu’il y en avait partout, qu’on les a nourris, hébergés, tout le temps accompagnés dans leurs opérations, que les Allemands en ont pris aussi beaucoup et qu’ils les ont fusillés ici et on ne sait pas où, mais les autres, ils sont repartis chez eux... j’ai bien essayé de voir avec les gendarmes, mais ils sont nouveaux, ceux qui étaient là pendant ne sont pas rentrés non plus des camps
... Et puis il y a l’histoire des passeurs : c’est des centaines, je crois que c’est des milliers d’évadés que les gens d’ici ont caché, nourri, passé vers la Zone libre et l’Angleterre... la mairie et la gendarmerie du village étaient des "usines" à faux papiers... les camions et le petit train Laederich assuraient les "évacuations"... Et ça a fonctionné tout le temps de l’Occupation !
Tout cela m’a l’air énorme... mais je n’ai pas les détails puisqu’il n’y a quasiment personne pour en parler, et je ne sais pas comment faire pour raconter tout ça... Il vaut mieux attendre avant d’en faire un papier... ")
Et il n’y a jamais eu de papier
Le risque avait fait de ces résistants ordinaires des ombres, des infréquentables et du gibier. Il n’en est presque pas rentrés et les autres avaient leurs plaies à panser. Et puis, dans le caractère des gens d’ici, quand on fait on estime que faire suffit... Ces femmes et ces hommes sont ainsi restés dans l’ombre, proprement ignorés cette fois
Ceux qui restaient ont continué en silence à "faire leur devoir", cette fois pour refaire avec les débris et élever les enfants. Leur histoire et l’histoire d’ici n’ont pas été racontées... Dommage, et c’est le fond du problème de ce qu’on nomme aujourd’hui "Devoir de Mémoire". C’est une raison principale de ce site [4]
Il y a cependant quelques photos d’un peu après, ci-dessous celles des premières commémorations faites à Moussey. S’ajouteront quelques tardifs et rares entrefilets de journaux (documents PDF ci dessous) [5]
Peut-être suffisent-elles, par le spectacle qu’elles donnent et l’émotion qu’elles trahissent, à faire deviner leur pourquoi... Et à faire réfléchir sur ce qu’est la dignité, sur ce que fut le courage tranquille... sur tout simplement le refus de vivre à genoux des "petites gens" d’ici
(Pour mémoire : Le Lt colonel Franks et la Garde d’Honneur du SAS sont venus partager les cérémonies du 18 août 45 (les derniers vétérans et les hommes du SAS d’aujourd’hui viennent toujours à Moussey depuis, une fois par an, les familles à longueur de temps). Le général de Lattre est venu leur rendre hommage en personne le 24 septembre 1945 en présidant à Moussey la première cérémonie de commémoration de la 2ème, la "grande", déportation d’ici, celle du 24 septembre 44)